"Branche d'acacia brassée par le vent"
Suite de 8 photographies réalisée le 20 juin 2009 entre 11h42 et 11h45, par un jour sombre et de grand vent. Seule cette branche très agitée se trouvait en belle lumière, ce qui a permis la série. Petit miracle et révélation au retour d'une balade infructueuse... moment de grâce, rencontre fulgurante et pourquoi ne pas l'avouer, j'y ai perçu comme le flouté fugace et vaporeux d'une aile d'ange, évoquant aussi le brossé large d'un peintre. Ce jour-là, au lieu de lui résister, j'ai fait du vent mon allié.
Florence Noël 2009/2010
huit mouvements écrits sur une série photographique de Pierre Gaudu "branche d'acacia brassée par le vent"
Entretien: Angèle Paoli et Florence Noël > Lien
Premier mouvement : Presto
et si nous revenions, tu sais, le cuivre des saisons, le parfum blanc l’égarement, si nous revenions à cette source où le jour coule sans discontinuer
et si tu me prenais la main, le premier seuil à dépasser comme un jardin qu’on nomme,et qu’ainsi on habille et qui s’étonne d’un pied - nous foulons la houle herbeuse
et si nous disions ce mot, éparpillé dans nos silences, rassemblé de ma lèvre, ange, de la mienne pure parce que la tienne, ce souffle encore y œuvrerait et si nous nous laissions aux berges, main ballante dans l’air levé, si nous nous lisions aux rives, battant l’eau échappée des vapeurs
suffoqués sous les vœux givrés des aubes
encore venir tout de désir
lourds dans la lèvre unique
d’un matin retenir le pelage et sa texture stridulée par le souffle
prodigue et tant penche mon visage qu’il lape
je sais l’enjambée dessus ce pont - profilent ces arbres mères ceinturés de secret – là choit l’enfance et ses sommeils – tu sais ma volte dans leur branches
je sais le précipité de ta silhouette, sa course projetée sur les tessons de pierres, leur vibration de petites ombres, ton corps en avant et tu reçois la première brassée – hoquet brut, poitrine hachurée
je sais le feutre des murmures – ininterrompre laisser fuir – et mon oreille pour les récoltes, tapisserie de lourds dais, nous nous voyions par paravent – vole une feuille colle à ta joue
hurlé au tendre des côtes
la plainte plus tôt forera l’air
en son milieu
par mes poumons orgues à pétrir
cent fois sur le métier pétrir
et de nos blessures
fourrager l’évidence
Deuxième mouvement : Sarabande
c’est là : le bougé du texte, le flouté du dire que peint la feuille parmi ses soeurs et chacune liée à la souplesse de la branche, chacune et toutes ensemble dessinant le verbe, et sa naissance dans le désir d’un moineau pour l’envol, tout en chacun s’anime
c’est là : dans le bougé des sèves, poussée organiste, ligneuse impatience –infléchie d’un soubresaut - dans le bougé des lèvres gonflées et si tendues dans le vouloir te dire
c’est là : l’à peine relié au trop, le fleuve ancré dans le filé du ciel, bougé d’un regard perdu de cible éperdu et perdant, le regard qu’on ne peut, le regard entier, et si osé le regard qui nous cloue nu et pantelant
une bête crue, féroce
mangée dedans sa chair
d’un désir miraculeux
d’une soif épuisée
et de morts petites
gémellaires gémissantes
dans l’oscillation simplement hachées leurs à-coups dégradés, tu leur viens
l’oscillation simplement reliées, déliées puis croisées, grand chassé, je leur viens
oscillation simplement sous les runes écorcés terribles car sans la peau offerte
sans la peau baisée d’ambre et de tiédeur d’été, nous leur revenons, enfin,
nous redevenons leurs
crudité de l’offrande
qu’un ange seul,
un ange transgresseur de vide
un ange sans plus d’aile que leur mouvement
à corps ouvert un ange s’y rogne
crûment
Troisième mouvement : adagio
au revers de tes yeux clos elle crayonne, elle hésite ton contours, toi yeux nus elle t’invite et t’agenouille déjà sa main te redessine, sa nue main des caresses tremblées
tes yeux clos envolée elle t’aiguise - ondulation régulière- elle infinitésimalement se cambre, sous tes yeux nus qui la résigne, et cicatrise, et s’ambre
comme tes yeux s’ouvrent, tes yeux, leurs sphères douloureuse, sa tendresse : où est-elle l’ombre à déshabiller, dis ? sur laquelle de ses jambes croît-elle ? à la mesure de quelle mort ? et cette apnée dis-moi, jusqu’à l’intaille de la rupture, de quelle louange fendra-t-elle la bogue ?
(dis-moi)
tu te déchausses à ses racines
et ton corps ploie au galbe de son tronc
tu te démets de ses ramures
couronne lassée de feu
dis-moi le glacé des herbes où ton paletot
s’écroule
et tes cités, et tes parades, et tes chimères
s’épandent
et à quel frère consolant reviendra
ta peau d’âme retournée ?
ta peau emprunte au sol ce froid poli des pierres, des rouges-gorges s’abreuvent à tes crevasses,
où est-ce ta salive nourrie d’une même sève dans la fluidité des frondaisons ? mais rien, non rien n’est promesse que tes yeux séchés d’enfance, ses mains amies écartent les rideaux de la plaie – brisure de lumière- et des mondes s’entrechoquent radiant
où bien est-ce du ventre qu’elles éclatent, les défaites, les amours, les désolations bues ?
pour toi,
elle danse toute parée de flammèches
les cieux s’ouvrent sur cette absence
ce figé d’exclamation
mais il faut bien renoncer à être
pour te laisser là
trop vivante, ont-ils dit
trop vivante.
Quatrième mouvement : Menuet
ainsi suspendus, faut-il qu’il nous arrime, ainsi – syncope et tombé d’heure - nous prélevions la dîme du présent, le contretemps du vivre, ainsi qu’en laps d’absence,
ainsi tels qu’en suspens, tellement tu sais, tellement sur le tendre, membrane du plexus contre-arquée à la gorge, ainsi est la balance, est-ce jeu, est-ce sens ?
ainsi dans le partir, ainsi dans le revenir, ainsi sans plus de bruit, feutrine de glotte, tamis d’éther, ensablement d’ouïe, dans le jaillir d’une flèche, puis dans son repentir,
ainsi par le surprendre, affrétés au mystère, l’énigme d’une saccade au rythme d’un saccage, et la texture interne des gorges qui s’enlisent,
Ainsi on vit, et ainsi saisis, et ainsi chéris
c’est à ne plus entendre
dans l’éblouissement des tempes
c’est à ne plus comprendre
le poussé des larmes dessous la peau
quand vient ce feu des formes
l’onde – la Grâce – écoulée
par nos ébauches
de tendresse
car la branche imperturbable s’anime – silencieusement – nous décharge de nos pesants de jours
la branche impérieuse anime en nous – saisissement – les puisants de trous, les épuisés de trêves, les trouvés de patience,
branche mouvementée anime, émue de dolence puis de fièvre, l’effusion du frêle puis du flambé des feuilles,
elle n’est qu’
une
égratignure sur la
pupille
elle s’enfle et
nous éparpille
Cinquième mouvement : Andante cantabile
alors, je chante parmi les éclaboussures de blancheur, puis j’élague ma voix, ma phalange soulevée pour, vague à toi, pour d’un frémissement, filer la frange gracile d’une branche saisie et respirée
alors, toute chantée j’erre, sel aux yeux, pour légère qu’est la fâcherie entre sa vague et nos soifs, d’un balancement anisé, toute chantée j’offre de ma voix le comble et m’élève, d’une phalange à peine
alors, oui, tout m’enchante car qu’est-ce sinon un frémissement, le farouche d’un noeud qui s’affaisse au gré du frais - noce de soir – la foudre semée en rond dans l’oh d’émerveillement, si ma phalange abrège le va et vient sonore
incantée comme bercée
oui j’ébroue la vocalise
souffle fou affrété
où prend proue dans mon ventre
appétence puis
brusquement
affalée sous
le dôme bruissant des cimes
envoûtemento
branches, elles ont su prononcer, avec quelle élégance, l’hélice du vertige, l’affamé des rafales, la naissance du peu,
au vibrato ma peaufeuilles, de jeune runes sériées au puits fauve de mes paumes, prononcées dans le trouble d’un air de lèvres émues
nervures, stances commises par mille, car myriade est leur force, dans mes joues désculpter le squelette du souffle
on dit des sortilèges
l’heur d’être évanescent
on dit leur vapeur d’elles
leur si infime humeur
mais cette mélodie-là
étrangle la tristesse
à la première voyelle
Sixième mouvement : Largo
viendra l’heure de t’ouvrir ce jardin, il nous ouvrira, tendus le regard extasié, mydriase puis délice, l’heure où nous jardinerons le corps mat des sentes, les méandres surtout, les appuis pour les boues renouées
viendra l’offrande à l’ouverture, contre la déliquescence apprêtée des ténèbres, l’adieu cendreux des orées et ce mystérieux mystère des houilles blanchies de roses ou de leur fantôme de rosée
viendra le voile tiré sur l’ecchymose d’une nuit – la première – le ventre né du grand azur, l’aube dit-on et son cortège d’oiseaux crachés sur les visages, viendra l’heure
où tu t’évaseras,
où mon écueil dans ton accueil,
où l’ample bras
lavera toutes mes saisons d’énigmes
où muserons les ramées
écorces nues au matin
d’un fût tremblé
souffle vierge et vaste il nous fendra, bogues abouchées, brossés de brous, d’une seule étreinte,
si révélant, à la ravaude, d’embruns brasiers filtrant l’ébriété nouvelle des branches
et revenus nous étrennerons nos neuves mains sur nos aplats de muscles puis sur ces épaules dévastées d’ailes
si pâles sous l’or
une feuille pour langue
une branche pour membre
un ébrouement pour qu’y
surgisse le feu tremblé
Septième mouvement : Miserere nobis
misère, cette enfouissure des mains dans la matière de foudre que tout ce blanc égrène depuis le ciel
ah notre misère terne mesurée par l’amplitude des ombres - si tous enfin nous convergions vers la même consonance – l’effraie neigeuse des fleurs décloses
miserere nobis, vibrer puis nous disperser dans l’espacement des soupirs entre les branches, et je chus là, miserere mei
épuisés nous guettions la touffeur
le filiforme aigu d’un
été finissant sa ronde,
un bol de cidre creusant ses mains
et nous peints dans la poussière
vaguelettes ou mémoriaux
voire dissipés aux vapes d’eaux profondes
où mugissent nos dépouilles
mourir à petit peu de tant vivre à petits riens
dépeuplée d’arbre, quittée de lèvres, quittée de fièvre, évidée d’ivresse ou de glèbe ou de sève
chue là, déchirée d’ourle, sorrow sorrow, brûlée au bourdon, toute ingurgitée par le sec des plaines
desquamée des ors gainant ma paume, patience ce cri planté dans l’onde d’une seule prière, saisis nos os de loques et de lie,
qu’on y grave l’imploration des salives
on y grave le manque cru de l’humide
y grave les rêves tout fendillés par le gel puis le sec
nous miséreux gravides d’un ange
débruissant nos amours abdiqués
Huitième mouvement : Allegro
nous n’avions eu de cesse que ce manque, cordes aiguisées sous le son de cette voix où nous résidions, car l’a-t-on peinte cette clameur végétale que nul ne figera plus ?
nous n’avions cessé la litanie qu’en reflux, décrue du flambant quand le soir dessoûle l’air, serait-ce le jouir qui a peint cette branche amorcée par un rire, par un grelot friable pour l’écarquille des âmes, toutes en ébullition de lueurs ?
nous cessâmes enfin quand trouvés d’innoscience, en apprêt d’être aimés, épuisés piqués d’éclats, quand délités dans l’accolade du souffle et sa coulée enveloppante, nous revécûmes en semences primales
déprises mes solitudes
habitée ma brûlure comme on habite une foule,
avec jubilation et bruissement
sources et dévaloirs
confondus
il fallut outrepasser la semaine de doigts jetée dessus les haies, jolie folie et allègre fureur, piétinement des danses laissées filles dans leur seule fraîcheur
et dans la nitescence du trou -d’aucun diront la grâce - oublier les lieux oublier les jours, leur brièveté, tant le premier qui me vint couchée aux racines, que le second calligraphiant sur l’interne de ma joue son lacis de zébrures
jailli, le fil du temps ramasse sa pelote, sans fracas sur le tronc, ni tambourinage, ni vacillement, ni rupture, exempt d’avant et d’après, parce que l’amour
qu’il me parle par sa lumière ou son éparpillement
mon âme m’abrite car il la nourrit
il y a – entendez-moi bien- cette joie
et rien depuis n’est réellement pareil
dans cette certitude pacifiée