texte écrit à l'occasion de l'exposition
"le sentier d'Ophélie"
octobre 2016
LE SENTIER D’OPHÉLIE
C'est en 2002 que je découvre le torrent du Bruyant, par hasard comme souvent lors de mes errances photographiques... je viens tout juste d’acquérir mon premier boîtier numérique. Quatorze années plus tard, ce torrent blotti en fond de vallon reste l'un de mes rendez-vous préférés. Sans jamais me lasser, je redécouvre à chaque saison, les endroits les plus intimes qui dévoilent toujours de nouveaux secrets. C'est le lieu le plus proche de mes pensées mélancoliques, traversées de soudaines et riantes percées lumineuses.
QUATRE SAISONS DANS LES GORGES - Le printemps n'est pas la plus facile à saisir même si c'est la plus gracieuse et photogénique. C'est l'occasion de profiter des jeunes et transparents feuillages, qui, en laissant filtrer la lumière projettent à la surface de l'eau des teintes d'un vert précieux et envoûtant. L'été, le soleil au zénith et les grosses chaleurs favorisent plus les violents écarts de lumière que l'inspiration, ce sentier devient alors une merveilleuse réserve d'ombre et de fraîcheur pour de longues heures d'exploration. L'automne reste la plus troublante, la plus inspirante, à cause de tout ce qui décline, décroche des saisons précédentes et s'accumule dans le lit du torrent. L'hiver, le vallon s'assombrissant très vite le lit du torrent devient noir, la solitude épaisse. Les arbres, les vieilles souches prennent des allures inquiétantes, un sentiment d'intranquillité me pousse vers la sortie. Malgré tout, les jeux de lumières fugaces sur les premières neiges demeurent une bonne raison de toujours y revenir.
L'OBSESSION DES LIEUX - Revisiter sans cesse les mêmes lieux reste une énigme qui me taraude l'esprit. J'aime connaître « mes » sentiers comme un musicien connaît ses partitions, ce qui me permet d'y retourner mentalement à n'importe quel moment du jour et de la nuit, de repenser mes prises de vues, d'autres perspectives, de progresser dans ma perception des lieux. Pour dire les choses simplement, cela semble parfois frôler une sorte de folie.
DE LA FOLIE A OPHÉLIE - Ophélie, (celle de Millais) découverte dans un manuel scolaire appartenant à ma sœur Anne-Marie : le Lagarde et Michard, est l'une de mes toutes premières émotions artistiques. De sa source au Furon, le Bruyant dévale un fond de gorge encaissé sombre et humide. Les pierres et les racines des arbres sont si glissantes que je garde en mémoire quelques redoutables chutes... d'où le titre d'une exposition récente Regarde où tu mets les pieds. De ces chutes à la noyade et donc à Ophélie il n'y a qu'un pas. J'ai souvent fait ce lien, surtout en hiver lorsque le ruisseau se fait menaçant et que les cinq passerelles qui l'enjambent se recouvrent de neiges et de glaces. Cette Ophélie au fil des années aura su patiemment frayer son chemin dans mon imaginaire, jusqu'à devenir ce projet : celui de rassembler - comme on rassemble ses esprits - 22 photographies pour les livrer au public.
FAIRE DES CHOIX - Sans chercher à me spécialiser sur le sujet, j'ai fait quelques recherches qui m'ont amené directement sur d'autres « Ophélie », après celle de Millais, celles de Delacroix surtout ont renforcé mes choix. J'ai retenu trois thèmes : la fameuse branche à laquelle Ophélie se raccroche et qui cède. Les reflets du ruisseau qui semblent évoquer sa longue robe et ses étoffes. Les inévitables fleurs, roses, renoncules et chardons. Enfin, j'ai privilégié les teintes entre verts et ors mêlé d'azur qui pouvaient au mieux accompagner cette légende, dans laquelle je me suis laissé glisser comme l'héroïne dans les eaux du ruisseau.
DE LA PHOTOGRAPHIE A LA PEINTURE ET INVERSEMENT - Naviguer entre ces deux pratiques n'a jamais été simple, j'ai souvent eu le sentiment d'être tiraillé entre les deux : La première qui me projette dans les grands et lumineux espaces alors que la seconde me confine dans l'atelier, lieu d'introspection et de solitude. Malgré tout, ces deux passions s'enrichissent mutuellement et au final (si j'en crois ce qu'on peut m'en dire) il y a un lien qui se ressent assez fortement et cela me réjouit. Comme photographe, je promène sans référence ni maître mon regard de peintre sur tout ce qui me touche. Mon histoire de peintre traverse celle du photographe.
Pierre Gaudu octobre 2016
texte écrit à l'occasion de l'exposition
"Et si ce n'était pas la mélancolie" (lien)
Musée Géo-Charles Echirolles - 2013
La photographie ne commence pas forcément avec un beau sujet, elle commence comme une rencontre, parfois fulgurante, dans un bain de lumières et de contrastes. Elle naît de cet instant précis et précieux, où s'entrecroisent tous les paramètres émotionnels et de construction de l'espace, dans une suite accélérée d'intuitions et de possibles.
Je ne m'interroge que très rarement sur ma démarche de photographe. S'il y a démarche elle ne peut être qu'intuitive et non liée à une volonté ou à un processus de création annoncé. Je découvre simplement qu'un projet me tire toujours plus en avant, qu'il est relié à une exigence intime, source de jouissance presque indicible à mon sens. Peut-on d'ailleurs parler de démarche dans ce type d'approche intuitive tant elle est dépendante de mes états-d'âme, mélancolie, éblouissement, émotivité, exaltation.
Mon travail photographique dit une quête permanente liée à la Nature vénérée depuis toujours, un besoin vital de réactiver l'enfance lointaine, un besoin de resacraliser ce que notre époque a banalisé et pour finir saccagé.
Là où la création picturale impose une introspection parfois source d'angoisses, la photographie prend le relais, tout en brillance et légèreté, pour me transporter vers des espaces ouverts et des sentiers poétiques. C'est en marchant que je questionne ma pratique de la photographie, l'idée du paysage, comment aller au-delà de ce que j'ai déjà réalisé, comment faire plier mes habitudes, comment trouver mon écriture autour de la lumière, comment voir mieux.
J'ai ce besoin impérieux de me retrouver sur ces sentiers cent fois foulés... de faire « le tour du propriétaire » moi qui ne possède aucun bien - je les possède tous - Laffrey et le grand lac, le Grand Serre, le plateau Matheysin, le Valbonnais, le Valjouffrey (mon dernier coup de foudre) où j'ai bien dû me rendre une dizaine de fois cet été. J'ai mes torrents en tête, ceux de mon enfance... celui du Bruyant dans le Vercors, de la Bonne, celui du Grand Serre. J'ai mes pierres au bord des sentiers et les plus belles qui me calment, mes arbres, les plus grands qui m'enseignent la sagesse et depuis quelques temps cygnes, bernaches et autres volatiles qui m'enchantent et illustrent l'ivresse des pleines lumières, des grands espaces.
Depuis quelques temps j'éprouve le besoin de poser mon regard dans les allées des jardins parcs et roseraies, serres, intermédiaires entre la nature et l'homme. Ainsi au lendemain d'un vernissage en novembre dernier, pour dévier un moment de solitude je me suis retrouvé dans un domaine grouillant de vie, de volatiles, de rires et d'enfants, de touristes, d'arbres beaux comme des cathédrales... depuis j'ai fait de ce lieu un monde à moi, un projet.
Finalement j'en arrive presque à penser que j'ai des rendez-vous avec certains sujets, j'imagine même que ce sont eux qui me choisissent... Une femme blême et solitaire en bout de banc, sous un majestueux bouquet de platanes, « conte de la forêt » Un cygne noir immobile, constellé de perles de pluie entrouvre un oeil, puis le referme apaisé, m'offrant ainsi comme un trésor, le temps de pose « signe des temps »
Je me présente...
Même si cela ne veut pas dire grand-chose, je suis ce qu'on a coutume d'appeler un autodidacte... C'est-à-dire que personne ne m'a appris à apprendre. Souvent j'en ai souffert, souvent je me suis consolé de certains avantages que cela peut représenter.
Ma passion pour la peinture et le dessin remonte à mes plus jeunes années. J'ai été comme on dit livré avec... La pratique de la photographie accompagne mon travail de peintre depuis mes débuts, mais c'est suite à un certain nombre de voyages en Grèce et en Asie entre 1990 et 1998, qu'elle devient une activité à part entière. Première exposition de photographies dans l'atelier d'un ami plasticien (Vincent Prud'homme) au retour d'Indonésie en 1995. Les plus récentes : Musée Hébert et Musée Géo-Charles.
Mon enfance se déroule immergée dans la nature à Saint-Alban-les-Eaux, village situé à 10 km de Roanne, où je vis jusqu'à l'âge de 20 ans. Comme il n'y a pas d'école des Beaux Arts dans cette ville, je suis contraint de passer un CAP de menuisier. Jusqu'à l'âge de 33 ans, je travaille (tout en consacrant l'essentiel de mon temps libre à la création) dans diverses entreprises Roannaise, puis à Grenoble où je m'installe en 1970. En 1975, la galerie Jean-Marie Cupillard organise ma première exposition personnelle, à cette occasion, Pierre Gaudibert alors conservateur du Musée de peinture de Grenoble achète l'un de mes dessins " Matière à réflexion " (plume et encre de Chine) Cette rencontre va orienter ma vie vers la création de manière décisive. Grâce à ce soutien, les portes s'ouvrent et les expositions se succèdent : Galerie le Lutrin – Lyon. Maison de la Culture de Grenoble « le jeune dessin à Grenoble » 1977 - Galerie La tête de l'art Grenoble. 1983 - Musée de peinture Grenoble « trois dessinateurs au Musée » 1984 – Musée Joseph Déchelette – Roanne. 1980 - Centre Pompidou « Ateliers aujourd'hui » salles contemporaines.
En 1983, suite à une exposition exposition personnelle à la galerie Krief de Paris et d'une bourse de la ville de Grenoble, je décroche définitivement de mon métier de menuisier pour me consacrer totalement à la création.
La peinture, le dessin, c'est ma vie, la photographie ma passion...
Je sais bien qu'il est habituel de coller des étiquettes, mais quand même... ces quelques mots pour rassurer ceux qui me demandent sans cesse si je ne fais plus que de la photo... Est-il si difficile d'admettre qu'on puisse être tout à la fois peintre et photographe ? La peinture, le dessin c'est toute ma vie, la photographie ma passion... une passion certes qui prend de plus en plus de place, mais je n'imagine pas un instant lui céder tout le terrain.
La photographie à ce pouvoir magique de maintenir active et vivante ma part d'enfance... elle impose un déplacement, une sortie de l'atelier, le regard tourné, vers d'autres espaces, l'espace de l'autre, une respiration à ciel ouvert.
Je photographie pour fusionner avec la nature divine, je marche pour me retrouver, sans soucis de dénivelés. Le boitier est comme mon enfance qui me tire par la manche pour me dire : "regarde" Je photographie pour répondre à une urgence toujours plus grande: celle d'honnorer mes rendez-vous avec mes lieux de lumières devenus sacrés...
Le dessin lui est plutôt une descente dans les méandres plus ombrageux de l'imaginaire, de tout ce qui échappe au conscient (pour moi en tout cas) une sorte de carottage dans l'inconscient.
Comment dire cette jouissance et ce privilège et combien il est exaltant d'explorer ces deux versants en même temps, avec la même soif d'exigence ? Ce que je fixe avec mon boitier et les lentilles de l'objectif, vient se glisser tôt ou tard sous la plume et mes encres de Chine, je l'ai si souvent vérifié. La photographie nourrit mon dessin et inversement.
De la terre du sentier à la crête des montagnes
En chemin, j’ai souvent l’impression que c’est le sujet qui me choisit, le sujet et peut-être plus encore la lumière qui le souligne, l’enrobe, le révèle. Photographier c’est sortir de l’atelier (du peintre que je suis) c’est aussi sortir de soi, et paradoxalement c’est remettre inlassablement en lumière cette part d’ombre qui m’habite… pour faire corps avec le monde extérieur et fusionner dans l’ivresse avec la nature, le paysage qui me traverse…
De la terre du sentier à la crête des montagnes, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, la marche chauffe mon regard à blanc sur toutes choses, dans un désir de percevoir le monde comme si c’était la première fois.